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 Le colonialisme des esprits indigènes

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zoyss
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Nombre de messages : 23
Date d'inscription : 18/10/2008

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MessageSujet: Le colonialisme des esprits indigènes   Le colonialisme des esprits indigènes Icon_minitimeVen 31 Oct - 22:11

Posté le: 29/10/2008 17:03 Sujet du message:

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FERHAT ABBAS (1927).

L’histoire des étudiants musulmans algériens de formation française, du début du XXe siècle jusqu’à l’indépendance de leur pays, est celle d’une tentative de « conquête morale » qui obtint d’abord un succès inespéré, mais pour aboutir en fin de compte à un échec paradoxal. Par « conquête morale » il faut entendre non la création de liens d’amitié entre deux peuples libres, mais la transformation, la consolidation d’une annexion opérée de force, et précaire comme son instrument, en une adhésion durable parce que volontaire des vaincus à la nationalité du vainqueur. Cette « conquête morale » vise à justifier la conquête militaire et à en pérenniser le résultat politique. Elle est l’instrument d’une politique d’absorption par assimilation. La France en avait bien besoin pour consolider sa mainmise sur l’Algérie, dont la population indigène, soumise par des moyens dont on n’ignore pas la brutalité, restait moralement impénétrable et rétive à l’autorité étrangère, dont elle espérait être délivrée miraculeusement par la volonté de Dieu.

Mais en quoi l’histoire des étudiants est-elle représentative de celle de leur peuple ? Assurément, leur nombre était infime. En un sens, ils ne représentaient qu’eux-mêmes. Mais leur aventure exceptionnelle s’inscrit dans un phénomène plus général d’acculturation, à la fois modernisation et francisation partielle, qui a touché une bonne partie du peuple musulman algérien, en Algérie dans les villes et dans les champs des colons, en France dans les usines et les casernes. Les étudiants ont subi la forme extrême de ce « métamorphisme de contact », pour reprendre la métaphore d’Émile-Félix Gautier. Il faudrait aussi tenir compte du nombre non négligeable des « étudiants de regret », qui leur enviaient ce titre prometteur de promotion sociale. Enfin et surtout, la sélection de cette maigre élite l’avait constituée de façon égale à partir de toutes les couches de la société musulmane : en ce sens elle était vraiment représentative.

Mais il reste vrai que cette expérience d’assimilation, limitée à un échantillon très réduit, souffrit gravement de cette limitation. On peut y voir l’une des causes de l’échec final.

Pour autant qu’on le connaisse, leur nombre a toujours été remarquable par sa faiblesse, et vers la fin de la période par l’accélération de sa croissance. En 1953-1954, l’effectif serait d’environ 1.700, dont 600 à Alger ; cette Université comptait alors 11,4 % d’étudiants musulmans, alors que la population non musulmane représentait 10,5 % de la population de l’Algérie. Alors que 1 Européen d’Algérie sur 227 était étudiant, 1 musulman sur 15.341 avait cette chance ! [1]

Bilan surprenant si l’on n’oublie pas qu’en 1830 le niveau d’instruction en Algérie était sensiblement égal, en proportion, à ce qu’il était en France (40 % de lettrés). Les témoins français de la conquête l’ont attesté. Un siècle plus tard, la parité est rompue : alors qu’en France l’analphabétisme a presque disparu, il s’est généralisé parmi les indigènes algériens : 90 % des adultes en 1948. En 1954, 14,6 % des jeunes d’âge scolaire sont scolarisés.

Cette évolution à rebours s’explique par l’histoire tourmentée de l’Algérie contemporaine. Les chiffres ne disent pas tout. En 1830, le système d’enseignement musulman perpétuait une mentalité profondément étrangère à l’esprit européen. Reposant sur l’apprentissage du Coran en arabe classique, il donnait la première et presque la seule place aux disciplines religieuses, conformément à la conception théocratique du Moyen Age. Il ignorait superbement la philosophie des lumières et le progrès scientifique et technique. La conquête ne fit qu’aggraver cette incompréhension : aux tentatives de « conquête morale » par l’école française répondit le refus scolaire » [2]. Les musulmans refusaient « l’école du diable », « piège tendu à leur nationalité et à leur religion », d’autant plus farouchement qu’ils avaient vu leurs propres écoles disparaître presque totalement du fait de la confiscation des biens « Habous » consacrés à leur entretien. Ce refus scolaire, sensible particulièrement quand la France est en guerre, explique l’échec presque total de la scolarisation française pendant les cinquante premières années de notre domination. Mais après la répression de la dernière révolte générale en 1871, la résignation s’installe et le refus scolaire s’affaiblit. Après 1945, il a pratiquement disparu : les musulmans réclament des écoles françaises.

Mais une autre cause a retardé la scolarisation des indigènes. Les colons d’Algérie, tout-puissants sur place depuis l’instauration du régime civil en 1870, ont jugé absurde de chercher à instruire par la contrainte des gens qui refusaient cette instruction. Ils laissèrent dépérir le système scolaire « arabe-français » développé à grand-peine sous le Second Empire, et s’opposèrent à Jules Ferry en 1883 quand celui-ci fit appliquer à l’Algérie les nouvelles lois scolaires françaises : « Stupéfaites de se voir imposer des constructions d’écoles pour cette foule de gueux alors qu’elles manquaient de routes pour desservir la colonisation », les municipalités se refusèrent à « cette coûteuse et dangereuse expérience » [3]. Cette formule résume avec bonheur les arguments des colons (l’un économique, l’autre politique) : « Si l’instruction se généralisait, le cri unanime des indigènes serait : « L’Algérie aux Arabes ! » Les deux arguments se combinent de façon alarmante : l’économie algérienne a besoin de travailleurs manuels, d’ouvriers agricoles surtout, non pas d’intellectuels raisonneurs et ambitieux. En fabriquer revient à multiplier les déclassés, les aigris, les rebelles. En novembre 1954, M. Gabet, maire de Koléa, explique ainsi la rébellion devant l’Assemblée algérienne.

Ainsi la rareté des étudiants musulmans algériens de culture française s’explique-t-elle par la « redoutable unanimité » [4] qui a cumulé les effets de la « volonté d’obscurantisme des colons » avec ceux du « refus scolaire » des indigènes.

Mais il ne suffit pas de constater la disparition progressive du refus scolaire : encore faut-il l’expliquer. S’agit-il d’une réaction collective de la Communauté musulmane qui comprend qu’elle a tout à gagner à s’approprier les secrets du vainqueur ? C’est vrai à la fin mais non au début : le mur du refus scolaire a d’abord été ébranlé par des défections individuelles. La fin du refus scolaire est donc un fait social bien plus qu’un fait politique. Et le contraire eût été bien étonnant. La grande insurrection de 1871 fut la dernière réaction collective du peuple indigène à la conquête et à la colonisation. Après cette date, on ne parle plus guère de « nationalité » à son propos : on le définit comme une « poussière de tribus », voire une « poussière d’individus » (Lyautey), en fait une poussière de familles. C’est le temps du « Vae victis » et du « Chacun pour soi et Dieu pour tous ». D’une part, la société indigène dans son ensemble a été écrasée, appauvrie, même l’aristocratie dans une certaine mesure après la révolte de Mokrani en 1871. D’autre part, les grands et les moins grands essaient de sauver la situation de leurs familles en se mettant au service de l’Administration coloniale. Cette catégorie de « loyaux serviteurs » comprend toute une gamme de fortunes, mais les petits caïds sont plus nombreux que les grands bachagas. Beaucoup sont à l’origine de petites gens qui doivent leur promotion à la France.

Cet état de la société indigène bouleversée par la conquête explique un fait paradoxal : l’étudiant algérien, ce privilégié, est réputé d’origine modeste. Depuis Ferhat Abbas et avant lui, les intéressés n’ont cessé de le proclamer : « Nous sommes pour la plupart des pauvres gens sortis des douars et de familles modestes pour devenir des bacheliers on ne sait comment. » [5] Il nous appartient d’éclaircir ce point.

Les études complètes ne demandent pas une fortune de « pacha » : il suffit d’un minimum d’aisance, qui prend des allures de richesse en se détachant sur la misère de la masse. A défaut, les bourses corrigent les conditions de fortune, mais leur attribution dépend des autorités, qui jugent suivant des critères de mérite social et politique : les fonctionnaires indigènes (magistrats musulmans, instituteurs, militaires, caïds) sont les mieux placés. Les étudiants algériens ont longtemps critiqué avec âpreté leur insuffisance en taux et en nombre, ainsi que l’arbitraire de leur attribution : « L’enseignement secondaire, base de l’enseignement supérieur, n’est accessible qu’à un petit nombre de riches et aux boursiers du Gouvernement général. Or ces boursiers, fils de caïds en majorité, n’ont qu’un idéal : devenir caïds à leur tour. Par conséquent, ils ne profitent pas, ou profitent mal, des avantages dont on les fait bénéficier. » [6] Il semble pourtant que le nombre des bourses ait fini par s’accroître sensiblement. L’imprégnation socioculturelle par le milieu familial n’a pas favorisé les enfants des grandes familles, puisque la culture française était au moins au début une nouveauté pour toutes les couches de la société musulmane. Les « héritiers » étaient les fils d’instituteurs, qui n’étaient pas des privilégiés de la fortune.

Enfin et surtout, la motivation sociale des études a joué un rôle décisif. Les fils de grandes familles, citadines ou rurales, ont longtemps dédaigné les études qui leur semblaient indignes d’un homme bien né, et inutiles pour améliorer leur statut social fondé sur la richesse et sur la faveur de l’Administration. Dès 1914, Chérif Benhabylès décrivait cette mentalité, constatée encore à la fin de la période coloniale. C’est la nouvelle bourgeoisie, la nouvelle classe moyenne de promotion récente qui voit dans les études la condition même de l’ascension sociale de la famille.

Mais les intéressés rejettent farouchement ces qualifications. « On a dit et on ne cesse de répéter que l’étudiant algérien est un "petit bourgeois", écrit "El-Qadir" dans Le jeune Algérien en mars 1953. Notre auteur proteste : « Quant aux étudiants musulmans de cette Université (Alger), à part quelques "fils de grande tente", la presque totalité est issue du peuple. C’est-à-dire qu’ils ne peuvent en aucun cas, du moins pendant la période étudiante, s’embourgeoiser. » Cet état d’esprit est général : les étudiants algériens ont conscience d’appartenir à un peuple démuni dont ils portent les espoirs, et en particulier ceux de leur famille. Cette conscience correspond à la réalité : un sondage réalisé en 1953-1954 par les étudiants musulmans d’Alger confirme cette impression, de même que les archives du COPAR [7] à Paris. Mais il s’agit d’une « conscience de classe » bien plus que d’une situation de classe : la conscience est parfois en retard sur les faits. Par exemple, Ferhat Abbas, fils de caïd, se prétend fils de pauvres paysans. Et ce n’est pas à tort, car sa famille a été ruinée par le séquestre en 1871, et son père a dû travailler comme ouvrier chez un colon avant d’être nommé caïd. Ahmed Boumendjel était fils de paysans aisés. Mais « les conditions sociales étaient telles... que Boumendjel, bien qu’appartenant à une famille relativement à l’aise, fut dans l’obligation de gagner sa vie de bonne heure [8]. » Souvent l’étudiant a un frère ou un cousin ouvrier. « Au milieu du bien-être relatif où s’écoule son existence nouvelle, il ne peut oublier l’enfer d’où il est sorti et où vivent encore les siens. » [9]
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