Genre
Plus marqué encore que dans La Légende de l'homme à la cervelle d'or, le genre semble franchement épistolaire. La lettre commence ainsi par A M. Pierre Gringoire, poète lyrique à Paris ; le narrateur s'adresse à son ami de nombreuses fois au cours de l'histoire, notamment après la fuite de la chèvre, ou à la fin, pour appuyer le fait que la morale lui est destinée.
Cependant, l'apologue est plus présent. Le narrateur lance, avant de commencer le récit proprement dit, « Tu verras ce que l'on gagne à vouloir être libre. », ce qui indique clairement la volonté d'enseigner quelque chose à son lecteur. L'aspect fictionnel un peu naïf, notamment du don de parole à la chèvre, fait penser à La Fontaine, célèbre pour ses apologues en forme de fables. Enfin, quelques symboles viennent donner une teinte de convention et de connivence entre auteur et lecteur ; par exemple, Blanquette est la septième chèvre de monsieur Seguin.
Morale
La morale est implicite. Il est dit en toutes lettres que « le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea » ; cependant, le narrateur ne dit pas clairement quel pourra être, d'après lui, le sort de Gringoire s'il persiste à être poète.
Il est évident que le narrateur réserve à Gringoire, pour ses rêves de poète, un futur opposé à celui décrit s'il accepte la condition de chroniqueur : il n'aura ni « beaux écus à la rose », ni « le couvert chez Brébant » (une table réservée et payée dans un grand restaurant de l'époque à Paris)... Le loup sera peut-être la société impitoyable, ou plus simplement la faim, évoquée dans le début du texte (« cette face maigre qui crie la faim ») ; quelle que soit l'interprétation, le narrateur voit pour Gringoire le sombre avenir des sans-le-sou et ses conditions associées.
Style
Le style est riche, car très changeant tout au long de la nouvelle. Le narrateur décrit ainsi très lyriquement et dans un langage imagé et parfumé « l'amour de petite chèvre » qu'est Blanquette, ou la montagne somptueuse qui honore sa petite visiteuse. Mais la dominante est en réalité le tragique sous-jacent. Dès le début, « Tu verras ce que l'on gagne à vouloir être libre. » est suivi immédiatement de « M. Seguin n'avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. ». Plusieurs éléments viennent rompre des situations agréables, présageant une funeste fin : Blanquette, chez son maître, regarde soudain la montagne ; après l'évasion, le narrateur dit « Nous allons voir si tu riras tout à l'heure... » ; heureuse dans la montagne, la chèvre voit le soir tomber, et « Tout à coup le vent fraîchit. » On voit ainsi une accumulation, qui tend à préparer le lecteur à la mort de la chèvre. Enfin, la succession de « Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea. » et « Adieu, Gringoire ! », sonne comme une oraison funèbre. Le narrateur s'appuie alors sur la culture de la Provence pour dire que cette histoire est véridique, et insiste sur le destin tragique de la petite chèvre, en redisant la phrase de la mise à mort, cette fois en provençal : « E piei lou matin lou loup la mangé. »